FLORILEGE

 


Le télégraphe et la gestuelle:

Gravure de Daumier du "Charivari" (1851) : Le ministre de l'Intérieur  Léon Faucher transmet de fausses nouvelles par le télégraphe. (coll. part.)

" Sa parole était brève, et ses gestes avaient quelque chose des mouvements saccadés d'un télégraphe."
Honoré de BALZAC, La Maison du Chat-qui-pelote
(La Comédie humaine
, vol. I, troisième éd.), 1842

" La vraie Américaine qui joue l'Américaine de la pièce ..., a un grand succès avec son accent anglo-saxon, la télégraphie nerveuse de ses mains."
Edmond et Jules de GONCOURT, Journal, 1893.

" Et cet andouille de Saturnin monté sur la meule de paille faisait le télégraphe avec son chapeau à bout de bras."
Jean GIONO, Baumugnes, 1929.
" Partout des bouches ouvertes, violentes, voraces, des poings brandis, des doigts qui suppléaient aux cordes vocales devenues impuissantes, une télégraphie de sourds-muets."
Maurice DRUON, Les grandes familles, Tome 2, 1948

"Cinq minutes après, nous entrions dans la gare.Jacques était là depuis une heure. Je l'aperçus de loin avec sa longue taille un peu voûtée et ses grands bras de télégraphe qui me faisaient signe derrière le grillage".
Alphonse DAUDET, Le petit chose,1868

" Et toi, Clara ? Je m'étonne toujours de l'aptitude de certains à s'évanouir sans laisser de traces à leurs amis. Un mot sur le coin de la table. Une bouteille à la mer. Les mouvements saccadés d'un télégraphe à l'horizon. Je ne sais pas. Quelque chose. Mais toi ? Le silence tue, Clara, plus souvent que la vieillesse !"
Eric FAYE, Parij ,
J'ai Lu,
1999

"- ça alors, si je m'attendais, et surtout par ce froid...M. Jean, le gardien, relevait et abaissait les bras comme un vieux télégraphe..."
Erik ORSENNA, Longtemps,
Fayard - Le Livre de poche, 1998
Pour marquer l'étonnement, rien ne vaut l'image du télégraphe, même chez un auteur contemporain, de surcroît membre de l'Académie française !

(...) les femmes y manient l'éventail avec un art totalement inconnu en France; elles l'ouvrent et le ferment avec un petit bruissement qui nous poursuit partout, à la promenade, à l'église, aux spectacles; dans leurs agiles Manis, il devient un télégraphe dont chaque mouvement est un signe de politesse et de dédain, d'amitié ou d'indifférence, d'amour ou de mépris, de rendez-vous accepté ou refusé.
SALLES Jules (1864-1865).
L'Andalousie, l'art arabe et la peinture de Murillo. Fragment d'un voyage en Espagne,
in Mémoires de l'Académie du Gard., sd.


Le télégraphe et le langage

" L' homme seul sait rappeler le feu du soleil au milieu des ténèbres, et y découvrir de nouvelles modifications. Il le fait sortir du tronc des arbres, où de longs étés l' ont fixé, et il le fait étinceler et flamber dans son foyer. Mais sa lueur céleste brille encore pour lui au haut des cieux, malgré l' obscurité des nuits. Il la voit réfléchie dans le firmament, par les planètes, accompagnées de leurs satellites nombreux. Il les voit tour à tour ascendantes, descendantes à l' orient, à l' occident, sur des lignes horizontales, obliques, perpendiculaires, et formant entre elles des losanges, des carrés, des triangles. Ce télégraphe céleste lui parle sans cesse un langage mystérieux, qui lui annonce toutes les harmonies du temps, des secondes, des minutes, des heures, des jours, des semaines, des mois, des saisons, des années, des cycles, des siècles."
BERNARDIN de SAINT-PIERRE, Harmonies de la nature, 1840

" Ces antennes, comme on les appelle, longues, fortes, délicates, vibrantes au contact le plus léger, sont charnues, articulées d' une vingtaine de pièces mobiles, agencées l' une dans l'autre. Instrument infiniment propre à palper et tâtonner. Mais il a bien d' autres usages ; par lui, les fourmis se transmettent en une seconde des avis assez compliqués, puisqu' ils changent leur direction et les font rétrograder, prendre tout à coup un autre chemin ; c' est évidemment un langage, comme celui du télégraphe. Ce merveilleux organe du tact est de plus probablement une sorte d' ouïe, étant tellement mobile qu' il doit frémir aux moindres vibrations de l' air et sentir toute onde sonore. L' accord de ces mouvements, de ce fin et délicat appareil tactile et télégraphique, cette forte tête enfin qui semblait penser, le tout faisait illusion."
Jules MICHELET, L'insecte, 1858 (*)

"Paraclet se trouvait blessé dans ses superbes combinaisons ; il employa dans son monologue les formules énergiques de Cicéron, et sa colère prenant sa source dans les hautes montagnes de l'Orgueil, en précipita ses courants d'apostrophes et ses torrents d'invectives entre les rives insultantes des "quousque tandem" et des "verum enimvero" !
Il marcha en gesticulant comme un télégraphe occupé ; il se demandait si son élève ne devait pas tirer vengeance du refus de Mr de Pertinax fondé sur le vain motif qu'il ne possédait qu'un fils ! Ne fallait-il pas que le sang lessivât cette offense ? La guerre de Troie lui parut avoir été allumée à propos d'intérêts plus frivoles ! La belle chose que l'honneur de Ménélas auprès de la mort des Tilleuls ! "

Jules VERNE, Le mariage de Monsieur Anselme des Tilleuls, Souvenirs d'un élève de huitième, Editions de L'Olifant, 1991

"L'enfant hésita. On ne veut plus de son gâteau; ce n'est pas une raison pour le donner.
Le père poursuivit:
- Sois humain. Il faut avoir pitié des animaux.
Et, prenant à son fils le gâteau, il le jeta dans le bassin.
Le gâteau tomba assez près du bord.
Les cygnes étaient loin, au centre du bassin,et occupés à quelque proie.Ils n'avaient vu ni le bourgeois, ni la brioche.
Le bourgeois, sentant que le gâteau risquait de se perdre, et ému de ce naufrage inutile, se livra à une agitation télégraphique qui finit par attirer l'attention des cygnes. (...)
- Les cygnes comprennent les signes, dit le bourgeois, heureux d'avoir de l'esprit."
Victor HUGO, Les Misérables, 1862

La langue de M. Gustave Flaubert fourche, et maintes fois contrarie la pensée, au lieu de la rendre ; mais le lecteur, encore plus attaché au sens qu'à la forme des choses, les éclaircit, les rectifie ou les complète, et finit par comprendre l'auteur. Le télégraphe et les sourds-muets, qui se font comprendre aussi, ne sont pas pour cela de grands écrivains.
Théophile SILVESTRE, Chronique, Le Figaro, 8 janvier 1863

Le télégraphe et la politique (**)

" En somme, devant l'histoire et devant le peuple français, la grande gloire de Napoléon III aura été de prouver que le premier venu peut, en s'emparant du télégraphe et de l'imprimerie nationale, gouverner une grande nation. Imbéciles sont ceux qui croient que de pareilles choses peuvent s'accomplir sans la permission du peuple et ceux qui croient que la gloire ne peut être appuyée que sur la vertu. Les dictateurs sont les domestiques du peuple - rien de plus - un foutu rôle d'ailleurs, et la gloire est le résultat de l'adaptation d'un esprit avec la sottise nationale."
BAUDELAIRE, Mon coeur mis à nu, 1862/64, rapporté par le journal Le Monde (23-24/06/2002).

" 1848, 24 février.Il y a déjà 29 ans !
C'est la Saint-Mathias. C'est bien ce jour là que le télégraphe fit des siennes, au sommet de l'église. Perché la-dessus comme un héron qui dort, il s'était réveillé tout d'un coup.
On le regardait d'en bas, en essayant de deviner ce que tenaient ses pattes : il en laissa tomber la République..."
Jules VALLES, article du journal " Le Radical " du 27 février 1877
Note Jules VALLES

"Croyez-vous donc que la violence soit un vieux procédé, une invention surannée, qu' il faille mettre au rancart avec les diligences, la presse à bras et le télégraphe aérien ? Vous êtes dans l' erreur. Aujourd'hui comme hier, on n' obtient rien que par la violence ; c' est l' instrument efficace ; il faut seulement savoir s' en servir.
"

Anatole FRANCE, L'île des pingouins, 1909

Télégraphe.
553. Le télégraphe (1) est aujourd'hui pour la France une dépense une dépense d'habitude et de vanité. Les mouvements nécessaires à notre conservation contre les dangers inopinés s'exécutent dans le corps humain, sans délibération de la volonté : il doit en être de même dans un état bien constitué ; et peut être qu'au 20 mars on a, dans beaucoup de lieux, trop compté sur le télégraphe.

ooOOoo
(1) On sait qu'à l'époque où M. de Bonald écrivait cette pensée, il n'y avait d'usité en France que le télégraphe à signaux établi de distance en distance, sur des points élevés, d'ordinaire au sommet de quelque édifice. Ce télégraphe, consacré exclusivement au service de l'État, fonctionnait lentement, seulement en plein jour, et un accident de température, un brouillard médiocre, suffisait pour rendre les signaux invisibles. Dans les circonstances épineuses, il y avait, pour gagner du temps, des brouillards officieux auxquels ont eu si souvent recours, que l'expression : " interrompu par le brouillard ", était devenue proverbiale. A.C.

Émile-Henri de BEAUMONT, Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique de ses principales pensées par le Dr de Beaumont; 3e éd[ition], considérablement augm[entée] d'après les ms. (?) laissés par l'auteur, suivie d'une de ses lettres à M. de Bonald et de la réponse reprod[uite] en fac-sim[ilé], avec quelques mots d'introd[uction] et une notice sur l'auteur de ce recueil par M. A. C. (?), Paris, Wattelier, 1870. (Sources : Gallica.bnf.fr)

Note Emile-Henri de BEAUMONT et Louis de BONALD


Le télégraphe-symbole

"Le combat de Jacob avec l'ange est un mystère fascinant
on le voit peint par Delacroix sur un mur de l'église Saint-Sulpice
patrie du premier télégraphe
inventé par Chappe
dont la statue-carrefour Raspail-Saint-Germain
fut capturée par les Germains
qui l'envoyèrent à la fonte
comme le ballon des Ternes
avec son pigeon collé par un bout de l'aile
ce qui est difficilement pardonnable"
Raymond QUENEAU, Courir les rues, Genèse XXXII, 1968
La statue érigée en 1893

Note Raymond QUENEAU

" A l'ouest j'aperçois maintenant la cathédrale et, me semble-t-il , le télégraphe strasbourgeois, dont l'index de la mort est sinistre et presque sublime ; il meut ses ciseaux comme le ferait une Parque - L'aiguille de la balance du peuple incline et décline la boussole du temps "
Johann Paul RICHTER dit JEAN PAUL
(Cité par H.Franz, Colloque FNARH,op.cit.)
Note JEAN PAUL
" M. le maire est le télégraphe de notre commune ; en le voyant, on sait tous les événements. Lorsqu'il nous salue, c'est que l'armée de la Foi a reçu quelque échec ; bonjour de lui veut dire une défaite là-bas. Passe-t-il droit et fier, la bataille est gagnée ; il marche sur Madrid, enfonce son chapeau pour entrer dans la ville capitale des Espagnes. Que demain on l'en chasse, il nous embrassera, touchera dans la main, amis comme devant. D'un jour à l'autre il change, et du soir au matin est affable ou brutal. Cela ne peut durer ; on attend des nouvelles, et, selon la tournure que prendront les affaires, on élargira la prison ou les prisonniers."
Paul-Louis COURIER DE MÉRÉ, Gazette du village, 1823
Note COURIER DE MÉRÉ


(*) Voir également HUGO et DUMAS
(**) Voir également STENDHAL


Mise à jour : septembre 2007

 
SOMMAIRE I V. HUGO I H. de BALZAC I CHATEAUBRIAND I STENDHAL I
A. DUMAS I
G. FLAUBERT I ERCKMANN-CHATRIAN I FLORILEGE I

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