La
ramification Vic-sur-Seille - Lunéville a pour origine le
traité de paix de Lunéville qui est le premier traité de la
Première République, la confirmation et la justification de
toutes les conquêtes de la Révolution. Il était d'une nécessité
vitale pour Napoléon Bonaparte qui créa le Consulat par le
coup d'Etat du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799).
L'invasion de la France par les puissances européennes réunies
dans la Deuxième coalition a été évitée de justesse et malgré
la victoire de Zürich des 25/26 septembre 1799 sur l'Autriche,
la situation militaire demeure inquiétante. La bataille décisive
se déroule à Marengo le 14 juin suivant. Grâce à Desaix, elle
fut une victoire. Les Autrichiens, cernés, se décident à signer
un armistice en Italie le 28 juin et envoient à Paris le général
de Saint-Julien pour entamer des négociations. Il signe le
28 juin avec Talleyrand, ministre des Relations extérieures,
des préliminaires de paix.
Pour la signature du traité, l'Autriche propose Lunéville
ou Sélestat, petites villes occupant une position centrale
entre Paris et Vienne. Talleyrand tranche en faveur de Lunéville
parce que la ville possède un château, des bâtiments militaires
importants et des écuries pour environ 3000 chevaux.
Pour Bonaparte, le traité de
paix de Lunéville est vital, mais il est obligé d'improviser
: peut-il s'éloigner de Paris, doit-il se rendre à Lunéville
où la paix peut (ou ne peut pas) être gagnée sans lui, doit-il
laisser faire un plénipotentiaire et attendre pour prendredes
décisions ?
Une ligne télégraphique vers Lunéville pouvait être d'un très
grand intérêt. Mais toujours pragmatique, il se méfie d'un
système qui n'est pas toujours entièrement fiable pour causes
de mauvais temps toujours possible.
Par prudence, il fait établir dans le même temps par l'administration
des Postes un courrier de Lunéville pour la correspondance
de Paris : il arrivera et repartira les jours pairs par Châlons
et Nancy et les jours impairs par Metz et Moyenvic.
Les frères
Chappe se sont mis au travail dès l'arrêté de création de
la ligne le 24 septembre 1800 . Ils ont des délais très courts,
mais ils ont l'habitude de travailler vite et d'improviser.
Les repérages sont réalisés, les emplacements déterminés et
les travaux commencent.
La ramification partira de la station de Vic-sur-Seille pour
arriver sur le château de Lunéville, lieu prévu pour les négociations,
et comprendra deux stations intermédiaires seulement.
Les
deux postes intermédiaires de la ramification sont ceux de
Vaudrecourt (écart au sud du village d'Arracourt) et de la
Côte de la Coye (le préfet de Meurthe l'appelle "Montagne
de la Coye" dans ses courriers), également appelée Froide-Fontaine,
hameau au nord-est de Lunéville , ou même plus récemment Jolivet
du nom d'une commune plus proche de Lunéville (anciennement
Huviller !).
Pour ces deux postes, l'installation est spartiate, l'équipement
rudimentaire : la baraque est en planches et comporte une
table, deux chaises et un fourneau à bois en tôle. Les mécanismes
semblent légèrement différents de ceux du reste de la ligne,
mais sans plus de précisions, parce qu'on aura un peu de mal
à les réutiliser par la suite. Des porte-lunettes ont également
été prévus pour chaque station; ils ne seront pas utilisés.
La station terminale se situe sur le " donjon " du Château
de Lunéville, lieu prévu pour les négociations et l'hébergement
des plénipotentiaires.
Chappe a prévu un quatrième mécanisme en cas de problème matériel,
mais fin octobre, on s'aperçoit qu'on a oublié de prévoir
quelqu'un sachant traduire les signaux et c'est Ignace Chappe
qui est immédiatement envoyé sur place !
Entre l'arrêté de création de la ligne de télégraphie
du 24 septembre 1800 et le fonctionnement le 12 novembre,
il s'est passé sept semaines seulement, ce qui est un exploit.
A Lunéville,
la ville et le château sont en piteux état depuis la mort
de Stanislas, beau-père de Louis XV, survenue en 1766. On
se dépêche de tout remettre en état pour pouvoir recevoir
dignement les deux plénipotentiaires, Joseph Bonaparte, frère
aîné de Napoléon, et le comte Ludwig de Cobenzel, jeune diplomate
et futur vice-chancelier d'Autriche. On va donc repaver les
rues, installer deux cent onze réverbères à huile, et pour
le château réparer la toiture, commander des glaces, emprunter
des tableaux, du mobilier, …
Les
conférences commencent le 10 novembre mais n'aboutissent à
rien.
La première dépêche officielle, heureusement conservée qui
date du 13 novembre donne une idée des négociations. Elle
émane du Premier Consul, est adressée à Joseph Bonaparte et
contient ces mots :
" Le plénipotentiaire autrichien a-t-il répondu à la notification
que vous lui avez faite ? S'il n'y a pas répondu et si vous
avez constaté son refus, annoncez lui la reprise des hostilités
au premier frimaire (22 novembre) ".
Elle ne sera guère suivie d'effet. Les pourparlers continuent
tout de même, mais rien ne filtre. Le télégraphe transmet
des dépêches plusieurs fois par jour… Les combats reprennent.
Entre le 23 décembre et le 20 janvier, le télégraphe semble
pris d'une véritable frénésie, puis n'émet plus après le 5
février. En effet, les négociations sont terminées et l'heure
des signatures est venue : le traité sera finalement paraphé
le 9 février 1801.
Il est
tenu secret, le temps d'informer les gouvernements. C'est
le général Bellavene qui est chargé de porter le texte à Paris.
Il arrivera dans la nuit du 11 au 12, mais le Premier Consul
est absent. Napoléon est finalement de retour le 12 et apprend
la nouvelle; il fait convoquer ministres et conseillers d'Etat
: c'est une grande explosion de joie. Le lendemain 13 février,
l'annonce est faite aux deux chambres et des courriers partent
dans les différentes directions pour annoncer la nouvelle.
C'est ainsi qu'on l'apprend à Lunéville, ce même 13 février,
tard le soir, de Paris. Partout, c'est la joie : la paix tant
attendue est enfin arrivée.
Le Traité de Campoformio est confirmé, l'Italie à l'exception
de Venise reste sous influence française et la rive gauche
du Rhin est cédée définitivement par les princes allemands.
L'opinion
des Autrichiens nous est connue par un courrier de Cobenzel
à von Thugut, ancien ministre des Affaires étrangères autrichien
:
"Le voilà ce malheureux traité que je me suis vu dans la
triste nécessité de signer. Il est affreux pour la forme et
pour le fond."
Pour Lunéville, la fête est
finie et la ville va retomber dans la somnolence d'une petite
ville lorraine ordinaire. Les évènements lui avaient redonné
un peu de gloire et des rues pavées à neuf.
Le
télégraphe n'a plus rien émis depuis le 5 février. De toute
manière, il a rempli sa fonction et comme d'autres ramifications,
il va désormais être abandonné.
Les stationnaires s'en vont, on remet officiellement au maire
de Lunéville la clef de la porte du comble du château, le
matériel est abandonné à l'exception des lunettes transférées
à Metz. Les postes de Vaudrecourt et de Froide-Fontaine ayant
été abandonnés en l'état, les vols et les dégradations commencent.
Le 20 octobre, le poste de Froide-Fontaine a même été incendié.
Les
dernières nouvelles concernant la ramification datent du 23
juin 1803 lorsque le directeur de Metz, Jean-Pierre Rogelet
est envoyé pour récupérer les mécanismes afin de les réutiliser
ailleurs. Hélas, il ne reste guère que quelques pièces oubliées
dans les combles du château de Lunéville et qui seront effectivement
réutilisées par la suite...
Bibliographie : Plusieurs articles ont été
écrits sur le sujet. Le plus récent et le plus
complet est en cours d'impression (Actes du colloque de Lorhistel)
Voir : Pour
en savoir plus